N° 308-2201 SEMAINE DU JEUDI 11 AU 17 JANVIER 2007
Antennes-relais : Le 9-3 se rebiffe
Six villes de Seine-Saint-Denis organisent la résistance contre les opérateurs
de téléphonie mobile. Récit d’une guérilla judiciaire.
Tout a commencé comme ça.
Un type promenait son chien rue des Ursulines, à Saint-Denis. C’était un soir de décembre 2005.
Il s’est arrêté devant une autorisation de travaux pour une antenne relais, accrochée au muret du n° 19, un immeuble bientôt vide de France Télécom.
Il y a déjà une soixantaine d’antennes dans la ville, mais cette fois, c’en est trop.
La controverse scientifique sur les possibles effets néfastes des antennes est présente dans les esprits. Les riverains décident alors de fonder un collectif.
Certains n’ont jamais milité.
D’autres sont plus avertis, comme cette documentariste spécialisée dans l’environnement.
Parmi eux, des parents d’élèves inquiets : un vaste groupe scolaire privé, Jean-Baptiste-de-La Salle, 2 700 élèves, étale ses cours de récré en contrebas du n° 19, et a déjà refusé la pose d’antennes sur ses propres toits.
Le collectif fait fleurir des banderoles (orange) taguées d’un « Nos enfants ne sont pas des cobayes ».
La mairie, qui laissait jusqu’alors pousser les antennes, entre dans le combat. Suite à un recours de l’association Saint-Denis Environnement et des parents d’élèves de Jean-Baptiste-de-La Salle, elle suspend, le 27 janvier 2006, les autorisations de travaux pour trois projets d’antennes UMTS (soit le haut-débit des téléphones mobiles) : celui d’Orange, au-dessus de l’école, celui de Bouygues, rue Emile-Connoy ; un autre encore, de SFR. La ville entre, alors, dans une guérilla judiciaire, y entraînant des voisines de la communauté d’agglomération Plaine Commune : La Courneuve, Pierrefitte, Stains, Aubervilliers et l’Ile-Saint-Denis.
Et le conflit, ces derniers mois, s’amplifie. Aux suspensions d’autorisations de travaux s’ajoutent cet été des arrêtés municipaux interdisant provisoirement l’implantation d’antennes relais, à moins de cent mètres des établissements accueillant enfants ou personnes âgées. Gloups, font les opérateurs. Lors de la dernière réunion publique, le 14 novembre, ils se font porter pâle, craignant un débat déséquilibré : le Criirem et Priartem, fameuses associations anti-antennes, étaient conviées.
« Ni la préfecture ni les autorités sanitaires n’étaient invitées pour contrebalancer leurs arguments », justifie l’Association française des opérateurs mobiles, qui craint plus que tout les « réunions tomates » (dixit un communicant d’Orange), pugilats qui épuisent les ingénieurs en télécommunications.
Mais pour l’heure, ce sont eux qui marquent des points. Le 1 er décembre, le Conseil d’Etat donne raison à Orange, pour le site de la rue des Ursulines. Et le 18 janvier prochain, c’est Bouygues et SFR qui défendront leurs implantations, sans doute avec succès, devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (95). Ce n’est pas tout. Entre le 10 novembre et le 28 décembre derniers, une pluie de recours venue des trois opérateurs s’abat sur six villes de Plaine Commune. Qui exigent l’annulation des arrêtés pris cet été, sous l’impulsion de Michel Bourgain, maire Vert de l’expérimentale et minuscule Ile-Saint-Denis, et vice-président de Plaine Commune chargé de l’environnement. Ces arrêtés, suspendant la pose de certaines antennes estimées les plus dangereuses, se disent « temporaires, jusqu’à la mise en place d’une charte entre les opérateurs et Plaine Commune ». Charte qui limiterait les émissions de champs électromagnétiques. Comme à Paris (lire l’encadré) .
Ce 4 janvier se jouait au tribunal administratif de Cergy un des épisodes du feuilleton, devant un juge placide mais curieux, discrètement amusé. C’était Orange versus Saint-Denis, Orange souhaitant l’annulation rapide de l’arrêté.
L’opérateur a contesté la compétence d’un maire sur la question des télécommunications, signalé les études officielles (dont celle de l’OMS, mai 2006) qui assurent de l’innocuité des antennes pour la santé publique.
La Ville et Saint-Denis Environnement ont évoqué le principe de précaution, inscrit dans la Constitution. Mais là encore, l’opérateur l’a emporté. L’arrêté a été suspendu. Le juge a retenu l’argumentaire d’Orange qui ne veut pas attendre une hypothétique charte. La Ville veut faire appel.
Arrêté ou pas, depuis la décision du Conseil d’Etat début décembre, Orange est libre d’installer son antenne au-dessus du groupe scolaire. Pas facile. Dans l’immeuble mitoyen, au 21, Richard Badey, ingénieur du son, a fabriqué une fausse antenne pour manifester son opposition à l’arrivée de la vraie. Les habitants, sentinelles inquiètes, appellent Orange au moindre ouvrier qui se pointe. Et, depuis fin décembre, il y en a. Va-et-vient de camionnettes (siglées Orange). Achèvement, sur le toit, d’un local en parpaings. Une voiture rouge, portant le nom d’un sous-traitant spécialisé dans la pose des antennes, est venue sur le site le 27 décembre dernier. Et pourtant, France Righenzi, directrice des réseaux Orange en Ile-de-France, assure que cela n’a rien à voir avec la pose d’une antenne : « Les travaux en cours pendant le mois de décembre, effectués par le propriétaire, France Télécom, concernaient l’étanchéité de la terrasse. »
« Pour y faire quoi ? interroge Michel Ribay, membre du collectif. Des surprises-parties, un jardin potager bio, une station d’observation interstellaire, une plate-forme pour nudistes, une zone humide pour l’accueil des cigognes en milieu urbain ? » France Righenzi veut son antenne sans avoir l’air de passer en force, même si la justice lui a donné raison. Elle proteste : « Trois ans que nous cherchons à déployer des antennes dans cette partie de la ville. Nos clients nous signalent que le réseau passe mal dans les appartements. Nous réclamons toujours à la Ville et aux associations un site alternatif ! ».
Celles-ci veulent surtout une charte comme celle de Paris. « Ce qui vaut pour Paris vaut pour la banlieue ! La Seine-Saint-Denis a eu sa dose de pollution industrielle, non ? », proteste Michel Bourgain. Le Vert milite nationalement pour que les maires puissent fixer un seuil limite avec les opérateurs. Mais eux souhaitent que la charte parisienne reste une exception. « Elle laisse entendre, pestent-ils, que la réglementation française est dangereuse. Elle crée finalement de l’inquiétude. Et si nous avons pu baisser les seuils d’émissions, c’est grâce au grand nombre d’antennes dans la capitale, plus de mille. » C’est le grand paradoxe de l’affaire, qui n’enchantera pas les habitants : si le seuil est limité, le nombre d’antennes devra se multiplier.
Le 23 janvier pourtant, opérateurs et élus plancheront sur un projet de charte autour de Michel Bourgain. Afficher une culture de la concertation, les magnats du sans-fil y tiennent plus que tout.
La charte et la loi
Ondes électromagnétiques
Le décret du 3 mai 2002 sur les émissions d’ondes électromagnétiques fixe à 61 volts par mètre, pour les antennes relais 3 e génération, le seuil maximum de champs électromagnétiques. Les opérateurs émettent en général en dessous de ce seuil. La charte de Paris, initiée par l’adjoint Vert Yves Contassot et signée en 2003, ne rend pas caduc ce décret, mais exige qu’à l’intérieur des lieux publics ou des appartements, les émissions ne dépassent pas 2 volts par mètre, en moyenne. La charte a été reconduite pour deux ans en novembre 2005.
Emmanuelle Walter
Parisobs
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